- 24 septembre 2024

Rencontre avec Sitou GAYIBOR, Dirigeant de SGI Services et Gestion Informatique

Vous faites partie des 33 premiers signataires de la Charte de la diversité, dès 2004. Pour quelle raison avez-vous signé la Charte il y a 20 ans ?

Il y a 20 ans, la notion de diversité n’occupait pas beaucoup les médias. Je suis d’origine togolaise, arrivé en France en 1983 après le baccalauréat. J’ai fait deux ans de maths et de physique à Valenciennes, puis un master II à Lille. Malgré mes diplômes, j’ai eu du mal à trouver un stage. Cela m’a beaucoup peiné dans ma vie scolaire, c’était très dur.

J’ai finalement trouvé un stage en 1989 chez Servia Informatique. Ce stage était un moyen proposé à l’époque par l’ANPE -aujourd’hui France Travail- aux personnes souhaitant changer de carrière. Ils appelaient cela SFE, «Se Former à l’Entreprise».  Je me suis retrouvé avec des personnes de 50 ans en reconversion professionnelle. Le SFE nous permettait de réaliser trois mois de stage en entreprise, payé par l’Etat. C’est par ce biais là que j’ai pu entrer chez Servia Informatique. J’ai énormément travaillé, et ils m’ont gardé. Je suis devenu commercial, puis ingénieur commercial, puis directeur commercial, et chef d’agence. J’ai rapidement évolué au sein de l’entreprise, et j’en suis même devenu le directeur général. J’ai d’ailleurs signé la Charte en tant que Directeur Général de Servia Informatique.

Je fais partie non seulement des premiers signataires de la Charte de la diversité, mais aussi, au nom du Centre des Jeunes Dirigeants, des co-rédacteurs de la Charte de la diversité. Nous n’étions à l’époque que trois petites entreprises aux côtés de très grandes entreprises.  Nous avons beaucoup participé car nous étions énormément engagés.

En parallèle de la signature de la Charte de la diversité, le CJD a animé ce thème pendant deux ans dans toute la France auprès de tous les jeunes dirigeants :  lutter contre les discriminations, mettre l’homme au centre de l’économie, c’est l’ADN du CJD.

J’ai moi-même beaucoup souffert de la discrimination. Alors, lorsque j’ai eu la possibilité de pouvoir prouver aux gens que c’était une erreur de discriminer, j’ai été très acteur de ce sujet, sur lequel je suis toujours très impliqué.

 

Comment avez-vous associé vos collaborateurs à cette dynamique ?

Dans mon entreprise, je n’élabore pas un process de diversité, je n’écris pas la diversité, nous la vivons. Une personne de couleur comme moi qui passe de stagiaire à PDG, cela fait partie des choses que j’ai vécues, et que les collaborateurs ont vues.

Mon PDG à l’époque était très engagé sur ce sujet. C’est d’ailleurs pour cela qu’il m’a pris, il ne comprenait pas pourquoi on discrimine.

Quand je me suis moi-même engagé dans ce thème là, c’était pour montrer que c’est possible, puisque nous, nous le vivions de l’intérieur.

Nous avons une réelle diversité au niveau du personnel : je ne recrute pas mes collaborateurs en raison de leurs origines, mais en fonction de leurs compétences correspondant à ce que je recherche. Mes collaborateurs à l’époque ont apprécié que nous puissions afficher ce que nous vivons.

 

Comment avez-vous déployé la politique diversité et inclusion de Servia Informatique dans les années 2004 ?

Je suis impliqué dans plusieurs réseaux économiques du Nord, où nous avons lancé de nombreuses initiatives en faveur de la diversité. Dans le cadre de mon engagement avec le réseau Alliances, nous avons, par exemple, créé le Forum Diversité Stages, Alternance et Premier Emploi, qui en est aujourd’hui à sa 13e édition. Les entreprises viennent proposer des stages pour que les candidats puissent en trouver plus facilement. Cela permet de remédier à la difficulté que j’ai eue moi-même lorsque je recherchais un stage puis un emploi.

Un dispositif qui incarne véritablement la diversité est le programme Emergence, proposé par le bailleur social ARELI. Ce programme offre à de jeunes talents issus de milieux modestes la possibilité de poursuivre les études de leur choix jusqu’à bac +4, bac +5, voire jusqu’au niveau doctoral ou post-doctoral, afin de bâtir un avenir professionnel à la hauteur de leur potentiel et de leurs ambitions.

Dans le cadre du programme Emergence, nous accompagnons chaque année 30 à 50 jeunes pour les amener au niveau d’études correspondant à leur potentiel et leurs compétences. Chaque entreprise participe à hauteur de 20000 euros sur 5 ans. Grâce à ce dispositif, certains jeunes sont devenus ingénieurs, d’autres médecins.

A titre personnel, j’accompagne un jeune pendant cinq ans tous les cinq ans. Une fois que le jeune a terminé ses études et trouvé du travail, je démarre l’accompagnement d’un nouveau jeune. C’est ainsi que mon premier filleul travaille aujourd’hui chez Decathlon, mon deuxième filleul est sorti de l’EDHEC, et je vais en accompagner un autre qui est à Sciences Po. Ce sont tous des jeunes qui ne pourraient pas faire cela si nous n’étions pas là, et qui sont vraiment talentueux.

Le thème de la diversité me poursuit toujours. J’ai créé ma société SGI en 2011 et j’ai resigné la Charte en tant que SGI Services et Gestion Informatique dans les locaux de L’Oréal.

J’ai embarqué mes collaborateurs dans le sens de la diversité, nous vivons vraiment la diversité. Il y a une réelle diversité dans les équipes, aussi bien des cadres, femmes, ou d’origine étrangère. C’est quelque chose qui est tout à fait réel dans notre quotidien : sur les huit salariés que compte SGI, nous avons quatre femmes et quatre hommes, avec des collaborateurs d’origine très diverse :  France, Azerbaïdjan, Congo, Algérie ……

La phrase que j’aime bien utiliser, c’est : ‘Il faut embaucher les compétences’.

Si c’est Moustafa qui a la compétence que je recherche, je le prends. Si c’est Dupond, je le prends. En tant qu’entreprise, nous défendons les valeurs de l’entreprise tout en reflétant la société, c’est un peu le but de cet engagement que nous avons pris.

 

Quelle est l’action pour la diversité et l’inclusion que vous souhaiteriez en particulier partager aux autres organisations signataires de la Charte de la diversité ?

Cela fait 20 ans que l’on essaie d’initier les dirigeants et les dirigeantes à la diversité. Ce pour quoi je suis encore engagé, c’est de permettre aux jeunes de trouver un stage. Cela fait partie aussi de la diversité : mobiliser les dirigeants pour qu’ils offrent la possibilité aux jeunes de réaliser un stage. Cela peut paraître surprenant, mais certains jeunes arrêtent leur cursus car ils n’ont pas trouvé de stage. C’est pour cela que je me suis engagé, pour sensibiliser les dirigeants à préparer les salariés de demain. Il faut que les jeunes puissent trouver des stages, quels que soient leur nom, leur genre ou leur couleur de peau. Chez SGI, nous accueillons des élèves de 3e en stage de découverte, mais également des élèves de 2nde, des alternants et même des personnes en situation de handicap. J’ai actuellement un alternant malvoyant avec moi. Comme je suis engagé depuis vingt ans, je suis très sollicité, mais j’essaie de toujours trouver des solutions.

Je suis également très engagé pour l’embauche des seniors. En France, on constate qu’une fois qu’on a 45/50 ans, nous sommes discriminés. Les seniors font partie des candidats les plus discriminés lors de leur recherche d’emploi. C’est pour cette raison que je continue le combat pour les seniors, pour faire bouger les lignes dans les entreprises sur ce sujet.

Enfin, je suis également engagé dans un thème d’actualité difficile : on peut être compétent, apporter ses compétences à une société tout en étant voilée. Ce débat n’est pas facile à mener, et il existe actuellement. Nous voulons savoir comment les entreprises sont capables de s’ouvrir et d’accepter ces jeunes parfois victimes du système. C’est un long débat, c’est un sujet qui fait peur. Nous travaillons pour sensibiliser les dirigeants afin que ces jeunes ne soient pas doublement pénalisés.

 

La Charte de la diversité fête en 2024 ses 20 ans. Quels sont vos vœux pour les 20 ans à venir ?  

J’aimerais que dans 20 ans, nous ne parlions plus de la diversité et que ce combat ait été intégré par les dirigeants et par la Société. Que je m’appelle Dupond, Mohamed, ou Durant, que ce sujet n’ait plus d’importance. Tant qu’il restera des rapports à faire sur ce sujet, c’est que le combat ne sera pas terminé.

Il y a 20 ans que nous y travaillons, et j’aime voir le verre à moitié plein. Les choses ont déjà énormément bougé. Je pense notamment à l’arrivée de Harry Roselmack, premier journaliste noir à présenter un journal télévisé en France à une heure de grande écoute. Il était pratiquement le seul à l’époque. Aujourd’hui, la diversité apparaît quand même plus régulièrement à l’écran.

Les entreprises progressent également, avec de nombreuses initiatives qui montrent que nous étions sur la bonne voie et qu’il faut continuer. Tous les dirigeants et la société doivent s’engager pour que nous puissions réellement partager la conviction collective que vivre ensemble est une meilleure solution que de s’enclaver dans son cocon.

L’ouverture des Jeux Olympiques en a été une belle illustration. Les auteurs de cette cérémonie d’ouverture ont voulu volontairement montrer la diversité. J’ai moi-même été bousculé, mais c’est cela la France, c’est cela la diversité !

A titre personnel, je suis intervenu il y a quelques années à Orlando pour parler de la diversité devant plus de 3000 dirigeants du monde entier. Par l’exemple de ma propre vie, j’essaie de montrer que nous pouvons y arriver, quelle que soit notre origine, notre genre ou la couleur de notre peau. Il faut que nous fassions confiance à l’autre tel qu’il est.


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