Rencontre avec Yannick MONSNEREAU, Responsable Egalité des Chances, Inclusion et Diversité – France Télévisions
La Charte de la diversité a été signée dès 2004 par Marc Tessier, alors dirigeant de France Télévisions. Quels en étaient les objectifs pour France Télévisions ?
En tant que média de service public, France Télévisions a une forte responsabilité vis-à-vis de son public et de toutes ses parties prenantes. Les sujets de la diversité nous irriguent tout particulièrement, et cela explique que nous fassions partie des premiers signataires de la Charte.
En 2004, nous sommes tout juste avant la grande loi ‘handicap’ de 2005. A cette époque, se pose véritablement la question de la responsabilité des entreprises pour favoriser et créer un collectif de travail inclusif pour les personnes en situation de handicap, dont le non-accès au marché de l’emploi est particulièrement cruel, et bien supérieur à celui des personnes dites ‘valides’.
Or, que souhaitent les personnes en situation de handicap ? Tout simplement le droit de pouvoir travailler, droit présent dans la constitution.
En 2004, les émeutes de banlieues n’avaient pas encore eu lieu. L’audiovisuel public était encore un monde essentiellement entre soi, comme d’ailleurs de nombreuses autres entreprises. Un constat a été dressé, non pas d’absence de diversité, mais d’une insuffisance de diversité. La prise de conscience a eu lieu dans ces années-là. Que réclamaient ces jeunes des quartiers ? Une égalité des chances.
France Télévisions en tant qu’entreprise citoyenne, media public de service public, s’est donc naturellement emparée de ces sujets.
Comment les collaborateurs ont-ils été associés à la dynamique ?
A l’époque, nous avons fait ce que nous savons bien faire : de grands événements très solennels qui ont interpellé tous les domaines de l’entreprise.
Nous avons organisé un important événementiel autour de la signature de nos accords handicap et égalité professionnelle avec des tables rondes de sensibilisation en interne, en présence des syndicats, le dialogue social étant un élément extrêmement structurant et important de notre politique diversité.
Les collaborateurs étaient en phase avec les valeurs de ces accords. Ce qui évidemment va être plus difficile, c’est la mise en musique dans le quotidien, comme le recrutement de personnes en situation de handicap ou de femmes sur des métiers techniques par exemple.
Notre politique diversité est soutenue par la direction au plus haut de l’entreprise, appuyée par des événements d’envergure pour embarquer l’ensemble des collaborateurs, des tables-rondes de sensibilisation, un « Plan Marshall » de la formation et beaucoup d’efforts de communication, accompagnés par la mise à disposition d’un certain nombre de guides pour doter les ressources humaines et les managers d’outils opérationnels permettant de piloter le sujet de la diversité au quotidien.
Le sujet de la diversité a été un sujet véritablement porté par l’ensemble des présidents de France Télévisions. Cet engagement est encore renforcé depuis l’arrivée de Delphine Ernotte Cunci.
En 2020, à l’occasion de son audition pour son second mandat à la présidence de France Télévisions, pour lequel elle a d’ailleurs été reconduite, Delphine Ernotte Cunci a rappelé que « la diversité serait le fil rouge » de son mandat. C’est à ce moment que la direction des parcours professionnels et de la diversité a été créée.
Le sponsoring de notre présidente sur la diversité est extrêmement important et structurant. Cette politique se construit avec les organisations syndicales, avec la filière ressources humaines, avec les managers et avec l’ensemble des collaborateurs. Chacun a une partition à jouer, et ensemble nous construisons une politique au service de la diversité.
Comment s’est déployée la politique Diversité & Inclusion de France Télévisions durant ces années ?
A la suite de la signature de la Charte de la diversité, nous nous sommes engagés par via des accords d’entreprise.
Nous avons signé notre première convention avec l’Agefiph en 2006, puis notre premier accord handicap en 2007.
En 2007, nous réalisons également un audit social à France Télévisions. Les résultats de l’audit nous ont dévoilé qu’il faudrait recruter uniquement des femmes à France Télévisions sur l’ensemble des postes durant cinq ans pour parvenir à une parité de 50% de femmes et 50% d’hommes dans l’entreprise. C’était une nouvelle prise de conscience, cette fois-ci sur le sujet de l’égalité professionnelle. Nous n’avions pourtant pas démérité. France Télévisions est une entreprise de haute technologie, donc une entreprise d’ingénieurs et de techniciens. Or comment est réalisée l’orientation en France ? Elle est genrée : les métiers de la technique et les métiers de l’ingénierie sont des voies davantage empruntées par les garçons, et non par les filles.
Nous avons signé notre premier accord égalité professionnelle femmes-hommes en 2007.
Nos accords handicap et égalité professionnelle constituent les grands accords fondateurs structurants de notre politique diversité à France Télévisions. Nous avons ensuite réalisé de grandes campagnes de sensibilisation et de formation à partir des années 2007 et 2008 : des formations autour de la diversité en général, et des formations plus ciblées sur le handicap.
Les thématiques de la diversité des origines et socioculturelle et de l’intergénérationnel vont commencer à être traitées quelques années plus tard.
Suite aux émeutes de 2005, nous avons progressivement commencé à nouer nos premiers partenariats pour une diversité des origines d’une part, puis nous avons réfléchi à un accord intergénérationnel d’autre part.
France Télévisions est une entreprise de fidélité, les collaborateurs sont très fiers d’y travailler et y sont attachés. Cela nous a progressivement amenés à une pyramide des âges plus vieillissante, une population plus senior, et le besoin de travailler aussi sur l’intergénérationnel.
L’arrivée de Delphine Ernotte Cunci en 2015 a apporté un nouvel élan autour de la diversité et l’ajout d’un cinquième pilier à notre politique diversité : l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Nous avons signé la Charte de l’Autre Cercle, Charte que nous avons d’ailleurs resignée en 2023.
Au-delà des signatures de Chartes et de la négociation de nos accords d’entreprise, nous détenons depuis 2018 le Label Alliance, réunissant les deux labels « Égalité professionnelle entre femmes et hommes » et « Diversité » de l’AFNOR. L’instrument du label nous permet de poser un curseur précis sur les cinq piliers de notre politique diversité : le handicap, l’égalité femmes-hommes, la diversité ethnoculturelle, l’intergénérationnel, l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Nous sommes très vigilants à l’équité de traitement, qui va de l’expérience candidat à l’expérience collaborateur. Nous nous assurons que nos process autour du recrutement, de la gestion des carrières, de l’accès à la formation, et plus largement que l’ensemble de nos processus de gestion des ressources humaines garantissent cette équité de traitement.
Nous avons des mesures extrêmement structurantes dans nos accords, comme la résorption totale des écarts de salaire entre les femmes et les hommes dans notre accord égalité professionnelle, la mise en place d’un observatoire des carrières pour comparer les évolutions femmes-hommes et mettre en place un plan d’actions lorsque nécessaire, la mise en place d’un réseau d’alliés pour aider les femmes à faire carrière et accompagner toutes les parentalités, des mesures pour prévenir les violences conjugales, au-delà des violences sexistes et sexuelles. Nous réalisons des baromètres auprès de l’ensemble de nos collaborateurs pour mesurer leur ressenti en termes d’inclusion sur l’ensemble de ces sujets.
Quelle est l’action pour la diversité et l’inclusion que vous souhaiteriez en particulier partager aux autres organisations signataires de la Charte de la diversité ?
Nous sommes particulièrement fiers de nos actions pour la résorption des écarts de salaire entre les femmes et les hommes. Parmi nos salariés personnels techniciens administratifs par exemple, nous avons réduit l’écart à 1.2 entre les femmes et les hommes. L’objectif est bien sûr d’arriver à zéro, nous avons pour cela mis en place des centaines de mesures de résorption d’écart ces trois dernières années, dont certaines ont d’ailleurs pu bénéficier à des hommes également. Notre budget pour réduire ces écarts s’est élevé à 3 millions d’euros.
Nous avons également réalisé de gros efforts en termes de recrutement de personnes en situation de handicap. Dans notre dernier accord, nous avions l’objectif de recruter cinquante-cinq personnes en situation de handicap, nous sommes parvenus à en recruter soixante-et-une. C’est un effort conséquent à la fois des managers et de toute la filière RH, parce que nous sommes en tant que service public dans une économie contrainte en termes de recrutement.
Une autre action exemplaire à laquelle nous contribuons en partenariat avec l’INA est celle de la classe Alpha, dont la 5e promotion est en cours cette année.
La classe Alpha consiste à offrir à 64 jeunes de 17 à 25 ans sans aucune condition de diplôme – certains n’ont pas le baccalauréat- issus de la diversité une formation d’un an gratuite aux métiers techniques de l’audiovisuel et du numérique.
Pendant cette année nous faisons visiter nos infrastructures de travail, nos locaux, nos plateaux, nos régies. La filière RH se mobilise pour travailler la posture en entretien des jeunes et leur CV. Pendant toute l’année, nous préparons l’insertion professionnelle des jeunes en organisant des coaching et des job dating. A l’issue de cette année de formation, nous accueillons une partie des jeunes de chaque promotion Alpha en alternance ou en stage. Aujourd’hui, nous comptons dans nos effectifs plusieurs jeunes issus de ce projet Alpha, soit en CDD, soit en CDI, soit en intermittents du spectacle. Ce sont des jeunes qui n’auraient dans leurs rêves les plus fous jamais imaginé franchir la porte de France Télévisions.
La Charte de la diversité fête en 2024 ses 20 ans. Quels sont vos vœux pour les 20 ans à venir ?
La Charte de la diversité et l’engagement des entreprises est plus que jamais nécessaire car nous assistons actuellement à des politiques de backlash extrêmement inquiétantes dans la société, quels que soient les sujets.
Plus que jamais il faut absolument se mobiliser, rien n’est acquis. Rien.
C’est un combat de tous les instants. Il faut continuer à sensibiliser, continuer à former. Tout ça démarre dès la famille. La famille, l’école, puis l’entreprise. Nous avons une grosse responsabilité en tant que service public, en tant que média, sur ce que nous montrons sur nos antennes, dans nos programmes et à l’information. Et pour pouvoir montrer cela de façon efficace, percutante et argumentée, nous avons besoin de cette diversité dans nos effectifs.
Dans les vingt années qui viennent, compte tenu de la crise démographique dans laquelle nous sommes, des crises économique, géopolitique, écologique, plus que jamais, la Charte de la diversité est un incontournable.