A l’origine des inégalités : les stéréotypes de genre
« Depuis les années quatre-vingt
Les femmes sont des hommes à temps plein
Finies les revendications, c’qu’elles ont voulu, maintenant elles l’ont ! »
C’est le constat que faisait Michel Sardou dans la nouvelle version de sa chanson « être une femme » sortie en 2010. N’en déplaise à ce dernier et à ceux et celles persuadés que la lutte pour les droits des femmes appartient au passé : nous sommes en 2022, et les inégalités entre les deux sexes se sont accentuées. Au delà du cadre légal et des actions mises en place, les causes sont à chercher dans nos constructions sociales.
La crise sanitaire a contribué à faire reculer l’égalité
En premier lieu, ce sont des chiffres publiés en 2021 par le Forum Economique Mondial qui interpellent : la pandémie aurait retardé de plus d’une génération le temps nécessaire pour arriver à l’égalité. Il faudra dorénavant selon la fondation Davos et au rythme actuel 135 ans pour réduire l’écart professionnel entre femmes et hommes dans le monde. En effet, 5% des employées ont perdu leur emploi dans le monde contre 3,9% des hommes. Par ailleurs, la crise sanitaire a accentué la double charge des femmes entre leur emploi et les responsabilités à la maison : la fermeture des écoles s’est traduite concrètement par 4h de tâches domestiques supplémentaires pour ces dernières. Et ce n’est pas la généralisation du télétravail qui a arrangé les choses : les télétravailleuses sont interrompues 1,5 fois de plus que les hommes selon le Boston Consulting Group et 34% des femmes en télétravail s’estiment sur le point de faire un burn-out, c’est-à-dire 21 points de plus que ces messieurs.
En France, le constat est semblable : bien qu’elle se trouve en seizième position du classement des pays en matière d’égalité femmes-hommes et en dépit d’un arsenal juridique garantissant à priori ces droits, force est de constater que les inégalités persistent, voire se creusent. L’écart de salaire femmes-hommes en 2020 était de 15,5% selon Eurostat : il a grimpé à 16,5% en 2021. La première loi garantissant l’égalité de rémunération date pourtant de…1972 ! Comment expliquer qu’une population, qui représente pourtant la moitié des salaires en France métropolitaine, soit cantonnée à des métiers moins rémunérateurs que ceux occupés par les hommes ? Plus spécifiquement sur le lieu de travail et pour plus de 8 salariées sur 10, « les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes », et 9 répondantes sur 10 estiment que les inégalités professionnelles sont encore aujourd’hui très importantes. Cela se traduit notamment par le biais d’agissements sexistes comme l’humour discriminatoire (82% affirment en avoir déjà entendues) (1), mais également dans d’autres actes du quotidien tels que la remise en cause de leurs capacités à manager une équipe, vis-à-vis de la maternité, du temps partiel ou encore dans leur évolution de carrière (2).
Les stéréotypes de genre, un coupable idéal ?
Les biais cognitifs, ou stéréotypes, sont des croyances partagées caricaturales qui ont pour effet de généraliser des caractéristiques en mettant tous les membres d’un groupe « dans le même panier ». Ils sont l’étape préalable à toute discrimination. On finirait même par acquérir les comportements stéréotypés qui nous sont associés de manière inconsciente. Ainsi, on attribuera plus volontiers des caractéristiques positives (altruisme, calme, intelligence, sociabilité…) à une personne au physique avantageux, qui finira par intégrer ces qualités supposées (3).Les stéréotypes de genre sont quant à eux des caractéristiques arbitraires que l’on attribue à un groupe de personnes en fonction de son sexe, et impactent de ce fait les rôles attribués aux hommes et aux femmes dans notre société. Dès l’enfance, on apprendra ainsi aux petites filles à être sages, altruistes, calmes et obéissantes, tandis que les garçons seront encouragés à être audacieux, bricoleurs, et tournés vers l’action. Ces comportements se construisent au sein du noyau familial, à l’école, dans les loisirs pour l’individu, et dans le cadre sociétal de manière collective avec les codes médiatiques, les références historiques, culturelles ou religieuses. En entreprise, on attribuera alors aux femmes des compétences dites féminines : organisation, rigueur, intelligence intuitive, empathie, diplomatie, sensibilité… De leur côté, les hommes seront naturellement associés au sens de l’action, à l’intelligence stratégique, au leadership, ou encore à l’autorité. Chacun de nous finit par assimiler ces codes arbitraires et se construit sur l’ensemble de ces influences extérieures. Ce conditionnement social est profondément inscrit dans l’inconscient à la fois individuel et collectif.
En amont de l’intégration du marché du travail, la différenciation en matière des choix d’orientation académique reste flagrante. Les jeunes femmes sont encore très largement majoritaires dans les filières littéraires, les sciences humaines et les formations paramédicales et sociales alors que la mixité est atteinte dans les formations en commerce, gestion et comptabilité. Ce choix différencié est remarqué également durant les études en lycée avec une surreprésentation des filles dans les filières sanitaires et sociales et de l’habillement, ou dans les spécialités linguistiques et d’histoire-géographie. Tandis que les garçons préfèrent l’électronique, l’industrie ou encore le transport. Pourtant, l’état actuel du savoir scientifique démontre que les différences sexuées sont pour une très large part le produit d’un conditionnement à plusieurs niveaux : on parle de construction sociale. Les femmes finissent par intégrer les stéréotypes de genre associés à leur sexe et se trouvent davantage victimes de l’auto-censure ou poussées à prendre en charge le foyer, ce qui les conduit à prendre plus de temps partiels, moins demander d’augmentation et in fine ne pas parvenir à briser le plafond de verre. Ces stéréotypes sexués accentuent de ce fait l’importante part des femmes dans des métiers féminisés, dits du « care » (enseignement, santé, hébergement médico-social, service à la personne…). Un éventail de postes précaires ou à temps partiel, qui se sont souvent retrouvés en première ligne durant la crise sanitaire.
Les bénéfices d’une égalité partagée
Les avantages d’une déconstruction de ces stéréotypes de genre en entreprise sont pourtant nombreux : ils permettent de répondre aux attentes de la nouvelle génération qui se sent de moins en moins définie par la norme hétérosexuelle, d’équilibrer les vies professionnelles et privées ou de favoriser l’investissement des hommes dans leur rôle de père. La recherche par l’entreprise de cette égalité autorisera également chaque collaborateur à évoluer et à s’épanouir dans les métiers qui lui conviennent le mieux, en transgressant les frontières genrées tout en réduisant le stress et les facteurs de risques psychosociaux dus à une culture du présentéisme, du risque et à un management autoritaire.
Les temps changent enfin, mais lentement : si le genre est une construction sociale, la société est en train d’évoluer à petit pas pour effacer cette confusion entre sexe et genre. Au-delà d’être un homme ou une femme et de se conformer aux stéréotypes attribués à notre naissance, nous pouvons dépasser cette binarité notamment en entreprise afin de favoriser le bien-être de toutes et tous. Ainsi, l’on luttera efficacement contre l’auto-censure, qu’on a injustement associée pour les femmes à un manque de confiance en soi, alors qu’elle peut également concerner les hommes : obligation d’être un « vrai mec », dominant et autoritaire. Quelle place pour les hommes devant quitter une réunion pour aller chercher leur fille à l’école ? Ceux que les blagues sexistes ne font pas rire ou qui désirent prendre un temps partiel pour s’occuper de leur famille ? Dépasser la binarité hommes/femmes est l’occasion de servir l’enjeu d’une mixité éclairée. Osez être soi au travail, c’est refuser de jouer un rôle pour correspondre aux stéréotypes de genre, être enfermés dans des structures comportementales dites « masculines » ou « féminines ». Un salarié qui occupera le métier de son choix, dans une atmosphère non-sexiste et bienveillante, est un salarié potentiellement plus heureux qui sera alors plus performant et fidèle.
Depuis une vingtaine d’années, les entreprises et l’Etat ont mis en place un certain nombre de mesures et d’actions ayant pour visée de réduire les inégalités entre les sexes. Cependant, les causes de ces différenciations sont profondément ancrées dans notre société et nos comportements, et cela bien souvent de manière inconsciente. C’est donc une véritable prise de conscience collective que nous devons amorcer, que ce soit dans la déconstruction des stéréotypes genrés véhiculés dès l’enfance et à l’école, mais également dans le questionnement de nos propres comportements au travail et dans notre vie privée. Ainsi, c’est par l’implication de toutes et tous dans la lutte pour les droits des femmes que les mentalités changeront sur le long terme pour construire une société plus inclusive et égalitaire.
[1] « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covid-19 a changé pour les Français », INED,2020
[2] Consultation menée auprès de grandes entreprises françaises – #StOpE, 2021
[3] Jean-François Amadieu, « La société du paraître », 2016