- 29 janvier 2024

Rencontre avec Laurence Méhaignerie, co-fondatrice et Présidente de Citizen Capital

Vous avez co-rédigé avec Yazid Sabeg en 2004 dans le cadre de vos fonctions de chercheuse associée à l’Institut Montaigne le Rapport ‘Les oubliés de l’égalité des chances’, à l’origine de la Charte de la diversité. Pouvez-vous nous en rappeler le contexte ?

L’idée de la Charte de la diversité a été partagée pour la première fois dans le rapport de l’Institut Montaigne « Les oubliés de l’égalité des chances » publié en 2004 que j’ai rédigé avec Yazig Sabeg. Lorsque Claude Bébéar nous a confié la rédaction de ce rapport, le terme utilisé était celui d’intégration. Avec Yazid Sabeg, nous avons proposé de parler d’égalité des chances dans la mesure où la majorité des Français issus de l’immigration  étaient français, et pour beaucoup nés en France.

L’angle mort des politiques d’égalité des chances était et reste la question de l’origine ethnique. C’est pourquoi une partie importante du rapport était consacrée à la façon dont les politiques publiques abordent la question de l’origine ethnique : l’histoire de la France, dans son rapport à la colonisation et la décolonisation, la construction de la politique dite d’intégration, l’efficacité des politiques publiques d’égalité des chances, de la politique de la ville et l’importance du rôle des entreprises, de l’accès à l’emploi et du rôle du travail dans le fait de « faire société ».

La Charte de la diversité est l’une des propositions de ce rapport. Elle avait pour objectif de s’attaquer au tabou de l’origine ethnique et d’encourager les entreprises à sortir du déni qui consiste à affirmer qu’elles respectaient la loi sur la non-discrimination (« pas vu, pas pris ») sans pour autant refléter la diversité de la société en tant qu’employeur. Le monde de l’entreprise aspirait à progresser, à sortir de ce déni. La Charte de la diversité est arrivée à un moment clé de la vie des entreprises, elles se rendaient compte qu’elles ne reflétaient pas la diversité de la société.

Mais sur ce type de sujet, l’entreprise ne change à long terme qu’avec de la régulation publique. Or, les pouvoirs publics sont restés observateurs.

Aux côtés de Claude Bébéar, fondateur du réseau Les Entreprises pour la Cité et de l’Institut Montaigne, ainsi que de Yazid Sabeg, Président de CS Communication, quelles ont été les personnes associées à la rédaction de la Charte de la diversité ?

Je me souviens que nous avions été invités par l’AFEP à présenter le rapport devant un certain nombre de dirigeants de grands groupes. Et nous avons commencé à travailler avec leurs DRH sur la finalisation de la rédaction de la Charte. Le sujet passionnait.

Nous avons beaucoup discuté de la question de la mesure et du 6e article de la Charte de la diversité qui demande aux signataires de mesurer et de rendre compte des progrès réalisés. Or mesurer nécessitait de qualifier, de nommer. Le monde de l’entreprise fonctionne par objectifs, et selon la maxime de Sun Tzu, « celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre ». C’est à ce moment que sont nées les directions de la diversité, au croisement d’enjeux de recrutement et de management.

Sous la pression de différents représentants de ce qu’on commençait à nommer la diversité, nous avons élargi la Charte de la diversité au genre, au handicap et à l’âge,  trois autres enjeux de discrimination reconnus  et considérés comme mesurables. Paradoxalement, cet élargissement a noyé le sujet le plus épineux, celui de la diversité ethnique, qui n’est jamais devenu « mesurable ». Malgré de nombreux travaux, notamment ceux de la commission Héran, et la motivation d’un certain nombre d’entreprises, nous avons buté sur une résistance très forte d’une partie de la société sur la question de la reconnaissance de la diversité ethnique. Et le sujet a progressivement été rangé dans un tiroir. La question ethnique est restée un angle mort des politiques publiques. Le monde politique a progressivement porté son énergie sur la régulation de la mixité femmes-hommes dans l’entreprise qui a donné des résultats !

Le 22 octobre 2004, 33 entreprises pionnières ont signé collectivement la Charte de la diversité. A-t-il été difficile de les convaincre de s’engager ?

Au départ, le rapport ‘Les oubliés de l’égalité des chances’ était plutôt destiné au monde politique. Nos recommandations portaient principalement sur les politiques publiques. Et ce sont les entreprises qui s’en sont saisies.

33 dirigeants, parmi lesquels plus d’un quart des dirigeants des groupes du CAC 40 ont signé la Charte dès octobre 2004, à l’Institut Montaigne. L’observatoire des discriminations montrait à travers les 1er résultats des « testings de CV » que les discriminations étaient persistantes. La Charte de la diversité venait leur permettre de disposer des outils que l’IMS, aujourd’hui Les entreprises pour la Cité, a mis en place pendant des années leur permettant de s’améliorer, de consacrer des ressources dédiées. C’était le début de tout cela.

Quel vœu faites-vous pour les 20 années à venir ?

 La Charte de la diversité voulait répondre à un problème profond de la société française, qui était sa difficulté à reconnaître qu’elle était devenue multiculturelle.

Le monde a changé en 20 ans. La religion n’avait pas la place centrale qu’elle occupe aujourd’hui dans la perception de la diversité de la société française. Et les échanges, souvent passionnés, n’étaient pas polarisés comme aujourd’hui. Et enfin, l’échec des politiques publiques à sortir les quartiers prioritaires de formes de ghettoïsation a contribué à dégrader la cohésion sociale. A bien des égards, cette question est aujourd’hui plus complexe encore qu’elle ne l’était il y a 20 ans.

Je crois dans le droit à l’expérimentation (qui est inscrit dans la Constitution) pour tester des politiques publiques différentes dans certains territoires, en matière d’éducation en particulier. Je crois dans l’importance de la régulation publique. L’Etat s’est saisi de la question de la question de l’égalité femmes-hommes. Il y a eu la loi Copé-Zimmermann, il y a eu des progrès parce que les pouvoirs publics se sont approprié cette question. Sur le handicap, il y a également des institutions, il y a des lois, même s’il reste encore beaucoup à faire.

Pour donner davantage de valeur à la Charte, il faut demander davantage de contreparties aux entreprises (actions mesurables, évaluables). Je pense qu’un signataire de la Charte doit rendre des comptes en tant que signataire. C’était l’esprit de la Charte.

C’est une très belle cause car nous allons vers des temps largement incertains à bien des égards et plus que jamais nous aurions besoin d’une voix sur ce sujet.


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