Rencontre avec Sadika HOUARI, DRH Airbus Commercial Aircraft France
La Charte de la diversité a été signée dès 2004 par Airbus. Quels étaient les objectifs de cette signature ?
La volonté d’Airbus lorsque nous nous sommes associés à la Charte de la diversité, dès 2004, a été de renforcer notre engagement autour de nos enjeux sociétaux.
La Charte de la diversité apportait une vision nouvelle de ces sujets, dont on parlait très peu en France, et qui étaient presque tabous. Cela bousculait à l’époque, et cela m’avait beaucoup marquée.
Partout dans le monde, au plus près des territoires, nous souhaitons être une entreprise citoyenne qui participe au développement de son écosystème, là où elle est implantée.
Ces sujets de développement durable, tels que la responsabilité sociale, la diversité, ont toujours été au cœur de notre stratégie de proximité, notamment à Toulouse, où nous sommes largement implantés avec notre siège social, et également sur nos autres sites.
Nous avons un rôle économique très fort et nous nous devons d’être dans cette volonté d’être une entreprise citoyenne, ‘rôle modèle’ sur ces sujets d’inclusion. Pour cette raison, nous travaillons main dans la main avec les acteurs locaux, les institutions et les associations pour proposer des solutions qui reflètent la richesse de la diversité.
Depuis 2004, la Charte de la diversité nous pousse à agir et nous permet d’être en mouvement pour enclencher des initiatives en lien avec notre écosystème, pour assurer l’égalité des chances qui est la motivation première de la Charte.
A titre d’exemple, nous avons encore signé très récemment, le 22 avril dernier, un contrat de ville avec Toulouse Métropole. Ce contrat est une référence aujourd’hui pour la Métropole et la politique qu’elle veut absolument dynamiser en faveur des quartiers prioritaires. Aux côtés d’autres partenaires signataires, Airbus a souhaité porter concrètement seize mesures en faveur de l’inclusion économique et professionnelle autour de trois axes : l’orientation scolaire, l’emploi et l’accompagnement individuel.
Toutes ces actions autour de ce sujet de la diversité sociale font partie intégrante de notre stratégie en matière d’inclusion et de diversité sociale.
Comment les collaborateurs ont-ils été associés à la dynamique ?
Une dynamique s’est engagée avec la signature de la Charte pour être toujours en mouvement : ce mouvement s’est traduit par l’implication même des collaborateurs autour de ces sujets.
Au-delà de les porter au travers d’une stratégie, nous avons souhaité complètement intégrer nos collaborateurs dans les initiatives à mener.
Nous avons tout d’abord ciblé deux populations clés au sein de de l’entreprise : les managers et les RH. Les managers parce qu’ils recrutent ; les RH parce qu’ils se doivent de porter également ce sujet au travers de leurs rôles et responsabilités en termes de recrutement, de formation et de développement des collaborateurs.
Pour élargir encore davantage l’adhésion des collaborateurs à cette approche, nous avons aussi travaillé à notre culture d’entreprise. Il y a quelques années, bien après la signature de la Charte, nous avons voulu poser les valeurs fondamentales de notre entreprise en impliquant les collaborateurs. Nous leur avons demandé de définir les valeurs qu’ils veulent absolument voir porter au sein de l’entreprise et vis-à-vis du monde extérieur.
Nos collaborateurs se sont retrouvés autour de six valeurs très en lien avec l’inclusion et la diversité.
La première valeur, c’est “We are One”, nous sommes un. Parmi nos autres valeurs, nous avons le respect, la valeur de la créativité car l’entreprise se doit d’être innovante. Cette innovation est boostée par la diversité de nos profils et la manière dont nous faisons en sorte que tout le monde puisse apporter sa valeur dans un travail d’équipe.
En promouvant ces valeurs, la valeur du respect notamment, nous fixons cette notion que nous traitons nos collègues et l’ensemble des parties prenantes comme nous souhaitons nous-mêmes être traités, justement en promouvant la diversité.
Nous avons également travaillé avec nos collaborateurs sur un code de conduite accessible à tous en exposant de façon très concrète ce que nous acceptons et ce que nous n’acceptons pas en matière de comportement. Nos comportements se doivent d’être éthiques, toujours en lien avec ces valeurs. Des exemples très concrets sont apportés dans ce code de conduite, qui constitue un document de référence sur lequel nous pouvons nous appuyer pour enrichir encore un peu plus notre ambition de porter la diversité et l’inclusion au cœur du fonctionnement de l’entreprise.
Notre code de conduite, rejetant bien sûr la discrimination et ce qui n’est pas acceptable, a fait l’objet d’une consultation auprès des partenaires sociaux et nous nous basons sur ce document pour pouvoir continuer à initier d’autres projets.
En complément à notre travail sur nos valeurs et à notre code de conduite, nous avons inscrit au programme des formations obligatoires sur les biais inconscients pour tous nos collaborateurs, et ce, pour prévenir tout risque de discrimination. Ces formations sur les biais inconscients sont portées au même niveau que les formations que nous exigeons pour la sécurité et pour les standards de qualité que nous avons pour la fabrication de nos avions.
Un autre exemple pour continuer à promouvoir la culture de la diversité, c’est la culture de la prise de parole, que nous appelons le ‘Speak up’ : prendre la parole en toute confiance, favoriser ce dialogue entre les employés, et à tous les niveaux. Nous organisons des formations très concrètes qui permettent de sortir des tabous, pouvoir dire les choses, exprimer les points de vue, les opinions et signaler les attitudes qui pourraient être inacceptables lorsque nous sommes confrontés à des comportements qui pourraient nous amener à de la discrimination, voire du harcèlement.
Chaque collaborateur a la possibilité de faire part de ses préoccupations à son manager, aux RH formés sur ces sujets, chaque équipe a un RH de proximité qui permet de favoriser le dialogue et nous disposons d’une open line, un numéro vert accessible à tous qui permet d’adresser le sujet dans l’anonymat si le collaborateur le souhaite. Nous avons des référents à tous les niveaux de l’entreprise, des collaborateurs qui se sont portés volontaires pour porter ces sujets et pouvoir être dans le dialogue avec ceux qui souhaitent aborder ces sujets.
L’une des autres initiatives à laquelle je crois beaucoup est le mentorat. Tous les ans, nous avons des collaborateurs volontaires qui souhaitent être mentors pour accompagner des étudiants ou des jeunes diplômés dans leurs parcours de formation et dans leur insertion professionnelle. Nous avons également des marraines qui s’engagent pour accompagner des jeunes filles dans leur orientation. Etant une entreprise industrielle, nous avons parfois du mal à convaincre des jeunes filles qui pensent que l’industrie, ce n’est pas fait pour elles. Chaque année les femmes qui sont dans l’entreprise s’engagent pour montrer qu’il y a des voies pour les jeunes femmes qui souhaitent intégrer des parcours absolument passionnants au sein de notre entreprise. Elles partagent volontiers leur expérience et leur propre parcours de femmes dans une entreprise comme la nôtre.
Nous donnons aussi la possibilité à nos salariés d’animer des ateliers dans les écoles et nous leur mettons à disposition un support qui explique ce qu’est notre entreprise, ce que nous portons en termes de valeurs et ce que nous faisons dans nos différents métiers. Ils vont ainsi témoigner auprès de jeunes dans des établissements scolaires où les jeunes se disent parfois qu’Airbus n’est pas fait pour eux, et ainsi ouvrir des vocations. Nous nous appuyons beaucoup sur les institutionnels, et également sur les associations dont nous sommes partenaires comme Article 1, NQT, Capital Filles, Elles bougent ou Les entreprises pour la Cité via le programme Innov’Avenir.
Comment s’est déployée la politique Diversité & Inclusion d’Airbus durant ces années ?
Dans la dynamique et l’engagement autour de ces sujets, au fur et à mesure des années, nous avons voulu structurer notre engagement au travers du modèle social sur lequel nous fonctionnons depuis plusieurs années avec nos partenaires sociaux : la négociation et la volonté de trouver des accords qui inscrivent dans le marbre nos engagements.
Cela se fait au travers de ces négociations sur différentes thématiques avec nos partenaires sociaux, qui ont conduit systématiquement à la signature d’accords. Ces dernières années, nous avons pu structurer notre engagement autour de différents accords sur la diversité sociale et l’égalité des chances, sur l’égalité et la mixité professionnelle, sur l’emploi et l’insertion des personnes en situation de handicap, nous avons également signé le Pacte Mondial des Nations Unies et la Charte d’engagement LGBT+ de l’Autre Cercle.
Ces textes sont structurants et renforcent notre engagement sur ces sujets. Derrière ces textes, il y a des actions très concrètes que nous menons et que nous mesurons aussi au travers d’indicateurs, sur lesquels nous nous appuyons pour nous assurer que nous allons dans le bon sens. Tout cela fait l’objet de partage avec nos partenaires sociaux qui ont un rôle à jouer sur ces sujets au sein de l’entreprise et qui portent également un certain nombre de convictions sur ces sujets au titre de leur représentation.
Pour illustrer les actions que nous menons et la façon dont elles se traduisent dans le quotidien pour nos collaborateurs, j’ai en tête l’histoire d’une jeune femme d’origine chinoise qui est arrivée en France pour faire des études dans le domaine de l’aéronautique et qui a pu rejoindre Airbus à Toulouse. Dans son parcours, nous lui avons donné la possibilité d’intégrer un programme de formation pour des leaders en devenir, celui-ci spécialement dédiée aux femmes, que nous appelons My Way. Ce dispositif très concret que nous mettons en place pour nos collaborateurs aide vraiment à très vite se sentir à sa place et à évoluer. Elle qui a bénéficié de cet accompagnement, souhaite aujourd’hui s’engager également pour aider les autres à trouver leur voie et leur place dans l’entreprise et dans l’écosystème autour de l’entreprise.
Quelle est l’action pour la diversité et l’inclusion que vous souhaiteriez en particulier partager aux autres organisations signataires de la Charte de la diversité ?
Une action à laquelle je tiens beaucoup et que je porte avec beaucoup de conviction est celle des stages de découverte des métiers proposés aux jeunes. Chez Airbus, nous donnons la possibilité aux enfants de collaborateurs de venir réaliser leur stage de découverte de 3e ou de 2nde chez Airbus. Nous avons transformé ce stage, qui est assez facile à trouver pour les enfants de salariés, et nous avons offert la possibilité aux collaborateurs parents lorsqu’ils ont la chance d’offrir un stage à leurs enfants d’accueillir aussi un jeune issu de la diversité, quelle que soit la forme de cette diversité, qu’elle soit sociale, ou un jeune venant de zone rurale, ou en situation de handicap.
Nous avons appelé la formule « 1+1 » : je viens avec un membre de ma famille ou de mon entourage car mon entreprise me donne cette possibilité, et j’accompagne aussi quelqu’un issu de cette diversité. Nous mettons en place un dispositif en partenariat avec l’Education nationale qui permet de faire ce lien avec nos collaborateurs pour accueillir en plus des enfants de salariés, des jeunes issus d’une diversité, quelle qu’elle soit.
C’est extrêmement positif et les salariés sont toujours partants pour accompagner en plus de leurs proches une personne qu’ils ne connaissent pas, mais qui a besoin de ce fameux petit coup de pouce pour accéder à une entreprise comme la nôtre, la découvrir et créer des vocations. En chiffres, cela correspondant à 1400 élèves accueillis durant l’année scolaire 2023-2024 dans le cadre de ce dispositif sur Toulouse, Nantes et Saint-Nazaire
La Charte de la diversité fête en 2024 ses 20 ans. Quels sont vos vœux pour les 20 ans à venir ?
Cette mobilisation a été essentielle pour entraîner d’autres entreprises : continuons dans cette approche pour voir de plus en plus d’entreprises signer la Charte, et voir à travers nos différents témoignages à quel point cela a dynamisé un certain nombre de projets et d’initiatives dans nos entreprises respectives.
C’est très intéressant de continuer à partager nos initiatives à l’occasion des vingt ans de la Charte, d’être interviewée, et d’avoir pris connaissance des interviews d’autres signataires. Cela donne des idées, une dynamique pour lancer d’autres projets, et être toujours impactants sur la diversité et l’inclusion.
Sur un plan pour personnel, s’il s’agissait de parler de rêve, j’aimerais que dans ce monde nous n’ayons plus à passer par des Chartes pour traiter ces sujets d’intégration : il faudrait que ce soit la norme pour tous. Nous sommes tous différents et c’est strictement la réalité des choses. Je rêve d’une entreprise où les différents profils cohabitent dans le respect les uns des autres. Nous avons parlé de leader avec Claude Bébéar qui a porté l’initiative. Des leaders venant d’horizons différents peuvent permettre de rendre possible le fait que ce soit la norme pour tous. Cette idée de ‘rôles modèles’, de leaders nous ressemblent, est importante.
Si je parle à présent de mon propre parcours, je repense à petite fille que j’étais. Je suis issue d’une famille d’origine kabyle, qui était vraiment très loin de ce monde de l’entreprise. Je n’avais jamais imaginé pouvoir être à ce niveau de responsabilités et même si mon parcours a été semé d’embûches, il a été rempli de rencontres qui m’ont permis de me dire que c’était possible. Je crois que c’est cela la clé. Nous parlions de mentors, de leaders inspirants, de portes qui s’ouvrent au travers des rencontres que nous pouvons faire avec les jeunes générations.
La clé, c’est d’être au contact des jeunes générations et de leur dire que ces rencontres, ces opportunités transmettent systématiquement un message : le message de croire en soi, d’aller vers l’autre, d’oser saisir des portes qui s’ouvrent et de se dire que c’est possible.